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GABON: À L’EST DE MAKOKOU, FACE À DES ÉLÉPHANTS DÉVASTATEURS, LES HABITANTS FUIENT LEURS VILLAGES

GABON: À L’EST DE MAKOKOU, FACE À DES ÉLÉPHANTS DÉVASTATEURS, LES HABITANTS FUIENT LEURS VILLAGES
Au Gabon, l’intensification des conflits entre les humains et les éléphants met à mal les autorités du pays, tiraillées entre la colère des paysans victimes d'attaques de pachydermes et la nécessaire protection de cette espèce en danger.

Au Gabon, l’intensification des conflits entre les humains et les éléphants met à mal les autorités du pays, tiraillées entre la colère des paysans victimes d'attaques de pachydermes et la nécessaire protection de cette espèce en danger. 

À Makokou, dans le nord-ouest du pays, des villages se vident de leurs populations fuyant l’incursion des éléphants qui détruisent leurs champs près du parc national de l’Ivindo, à plus de 650 kilomètres de Libreville. REPORTAGE.  

Par JR DJOUÉ DABANY

Christiane Endjelouma revient dans son village de Lata 5 ans après l’avoir quitté, fuyant d’incessantes incursions d’éléphants qui viennent régulièrement détruire leurs champs et menacer leur vie. Ce petit village d’à peine cent habitants a été abandonné par les villageois après qu’un éléphant ait causé la mort de Charles, un chasseur réputé et très connu dans la région.

 

Les souvenirs de la mort de Charles sont dans toutes les mémoires. Et les populations sont encore sous le choc.

« Le village a été abandonné à cause des éléphants ». L’éléphant a tué notre frère. « Les éléphants venaient déjà manger derrière nos maisons et nous avons fui le village après la mort de notre frère Charles ».

Raconte Christine. 

6 h 22, le coq chante encore. La nuit a été calme dans le village de Lata à environ 20 km de Makokou, plus à l’Est sur une piste rouge. Christine et les autres femmes du village, rassemblées avec les autres habitants du village sous un petit préau en taule, tiennent une réunion pour signaler à nouveau la présence d’un éléphant dans leurs champs. 

«Qui va nous protéger en brousse, nous sommes des femmes? Les éléphants nous pourchassent. Nous allons faire comment? C’est la question que nous posons aux autorités. Quand les villageois tuent les éléphants on nous met en prison mais quand c’est l’éléphant qui tue on les protège. Nous pensons que l’Etat protège plus les éléphants que les populations »

peste Marie-Chantale Elassaké, la voisine de Christine. 

D’après les habitants, les pachydermes ont dévasté des champs dans plusieurs villages et causé des pertes en vies humaines lors de leur passage dans les villages qui bordent le Parc national de l’Ivindo et celui de Mwagna. 

Dans le village de « Petit bateau », abandonné depuis 5 ans, le drapeau vert-jaune-bleu noué à un mât flotte encore. Les maisons sont grignotées par l’herbe. Les habitants ont fui pour s’installer dans les villages voisins.

«Les éléphants venaient derrière nos maisons. Nos vies étaient menacées c’est pourquoi nous avons fui »

Jules Matoka, qui s’est installé désormais au village Nzolendé (70 km de Makokou) avec sa femme et leurs trois enfants.

LATA apprend à revivre depuis un an. Le préfet de Makokou a lancé des projets communautaires pour inciter les habitants à regagner leurs villages. Des dizaines de champs ont été ouverts pour permettre aux femmes de cultiver de la banane, du manioc et des légumes. Des barrières électrifiées autour des champs sont installées pour empêcher les éléphants d’y accéder et détruire les cultures agricoles. 

Mais la solution pourrait cette fois venir d’ailleurs. L’ONG Space for Giants et Conservation Justice, spécialisée dans l’installation des clôtures électriques mobiles et la conservation de la faune et de la flore au Gabon, ont signé une convention de collaboration pour développer des solutions durables concernant le Conflit Homme-Faune dans le pays, au moyen de la mise en place de clôtures électriques mobiles, afin d'assurer la protection des plantations communautaires dans les provinces cibles du projet.

Les deux ONG prévoient la construction des barrières électrifiées autour des champs pour empêcher les éléphants d’y accéder et détruire les cultures agricoles. Dans ces villages où plane une certaine hostilité envers l’espèce, les autorités locales avouent à des mots couverts que la question est régulièrement débattue entre les villages et l’administration en charge de la gestion de ce conflit. 

La question est sensible.

Les éléphants sont de véritables bulldozers dont les dégâts sur les cultures agricoles sont redoutables. Un fléau que Guy-Modeste Mengué Meko, conservateur du parc national de l'Ivindo, connaît très bien.

« Les villageois se nourrissent de leurs récoltes, fruits d’un travail de plusieurs mois pour nourrir leurs enfants et voir les éléphants les manger, les détruire en un seul jour, cela rend fou »

explique M. Mengué Meko. 

«Nous pouvons vous dire que le ministère des eaux et forêts avec l’administration des parcs nationaux font des efforts pour atténuer la souffrance des populations »

a déclaré Ndinga Nyama Célestin, directeur provincial des eaux et forêts à Makokou.

Le conflit entre les humains et la faune a fait de nombreuses victimes dans les villages de Makokou. Et pour Edgard Mbissa, le discours du gouvernement local ne représente que des mots.

« Les agents du ministère des Eaux et Forêts sont conscients du danger que nous courons. » Les populations n’ont plus rien à manger, personne n’ose s’aventurer en brousse parce que vous allez croiser un éléphant qui va vous charger. »

dit-il accusant les autorités de ne protéger que « leurs éléphants ».

« La population des éléphants ne fait qu’augmenter. Les éléphants arrivent la nuit dans les villages. Mais on essaye de sensibiliser les populations régulièrement »

explique Tence Moukoungo, éco-garde du parc de Mwagna avant de souligner que le manque d’équipements pour s’occuper du problème des éléphants leur complique la tâche. 

Surpopulation des éléphants 

Des espèces telles que les gorilles, les chimpanzés, des éléphants et des mandrills vivent dans ces vastes parcs. Ces dernières années, la population des éléphants a considérablement augmenté. Ils se déplacent librement, poussant les populations à déserter leurs villages. 

Les éléphants de forêt, répertoriés en danger critique de disparition par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), seraient plus de 95 000 au Gabon, d’après une étude menée en 2001, alors qu’ils n’étaient plus que 62 000 dans les années 2010.

Selon le ministère des Eaux et Forêts, au cours de ces trois dernières années, une dizaine de personnes ont été tuées par un pachyderme. Et chaque année, jusqu’à 50 éléphants sont abattus par vengeance ou par légitime défense. Depuis, l’administration des eaux et des forêts croule sous les plaintes des villageois. 

Pour la première fois, l’État a déboursé 4,400 millions de dollars FCFA pour indemniser les villageois sinistrés et financer les clôtures alimentées par l’énergie solaire. Car les populations sont de plus en plus hostiles aux éléphants. Une situation gênante pour le Gabon, pionnier de la protection de l’espèce en danger critique d’extinction sur le continent, d’après les ONG.

 

Par Pamphile EBO

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