TORTURE DE LONGUÈ LONGUÈ : OUVERTURE D'UNE ENQUÊTE
Victime de sévices dans les locaux de la Sécurité militaire à Douala, en 2019, le musicien camerounais est parvenu à mettre la main sur une vidéo de cet épisode douloureux, qu’il a rendue publique le 23 octobre 2024. Une enquête a été ouvertte pour mettre la lumière sur ce traumatisme.
Une vidéo troublante montrant le célèbre chanteur camerounais Simon Lonkana Agno, alias Longuè Longuè, victime de torture a provoqué une vague d’indignation au Cameroun et à l’étranger. L’artiste, reconnu pour ses chansons dénonçant la mauvaise gouvernance, le colonialisme et d’autres injustices sociales, a affirmé que cette vidéo remontait à son arrestation en 2019, bien qu’elle n’ait jamais été rendue publique jusqu'à présent.
La vidéo montre Longuè Longuè, les mains menottées et assis au sol en sous-vêtements. Une chaise est placée au-dessus de ses pieds, sur lesquels des hommes, que l’artiste identifie comme des agents de la sécurité militaire, appuient leurs bottes. L’un d’eux frappe la plante de ses pieds avec une machette plate, ignorant ses supplications pour que les coups cessent. Longue Longue tente de leur expliquer que ses paroles sont une expression de sa "liberté de pensée."
Interrogé par téléphone, l’artiste raconte qu'un contact aux États-Unis lui a fait parvenir cette vidéo. Actuellement hors du Cameroun, il confie avoir quitté le pays depuis trois mois, craignant pour sa sécurité :
« Je priais Dieu de pouvoir quitter le pays avant la prochaine présidentielle »
déclare-t-il.
La diffusion de cette vidéo, mercredi 23 octobre 2024, a déclenché une condamnation unanime dans la société civile et la sphère politique camerounaise. Maurice Kamto, leader de l’opposition et président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), a fustigé sur X cette « barbarie d'État » et a réclamé une enquête pour traduire les coupables en justice. Le député Cabral Libii a qualifié “ces images d’insoutenables”, dénonçant la cruauté de certains commandants de la République. Akere Muna, avocat réputé et candidat à la prochaine élection présidentielle, a exprimé son indignation face à cette scène de torture, exigeant une condamnation claire de cet acte.
Dans un communiqué publié jeudi, le ministère de la Défense a annoncé l’ouverture d’une enquête pour faire la lumière sur cette affaire, promettant de tirer les conséquences nécessaires en fonction des résultats.
Un passé tumultueux
Longuè Longuè, surnommé « Le Libérateur » pour son engagement contre les abus de pouvoir, a vu ses problèmes s’intensifier après son soutien public à Maurice Kamto lors de la présidentielle de 2018. Après la contestation de l’élection, durant laquelle Kamto et plusieurs de ses partisans furent emprisonnés, l’artiste publia une vidéo affirmant que Kamto avait gagné le scrutin, défiant les autorités camerounaises.
Cette prise de position n’a pas tardé à attirer des représailles. Longuè Longuè raconte que, peu après, il fut arrêté par des agents en civil dans un hôtel de Douala, emmené à la SEMIL (sécurité militaire) et soumis à des sévices, comme le montre la vidéo désormais virale.
Quelques jours plus tard, sous pression, il apparaît dans une nouvelle vidéo, vêtu d’un costume orange, où il demande pardon en pleurs au président Paul Biya et à son épouse Chantal Biya. Ce geste, guidé par Djene Djento, une figure respectée de sa région natale, fut perçu par beaucoup comme un acte de soumission forcée. Il y prononce une phrase restée célèbre :
« Je veux voir mes enfants grandir. »
Une carrière musicale engagée
Longuè Longuè s’est fait connaître en 2001 avec son tube « Ayo Africa », qui dénonçait le colonialisme et le népotisme. Il poursuit son engagement avec des titres comme « 50 ans au pouvoir », qui critique la gérontocratie en Afrique. Ces œuvres, perçues par certains comme des attaques contre le régime camerounais, lui ont valu admiration et hostilité.
Aujourd’hui exilé en France, Longuè Longuè se dit soulagé mais inquiet pour sa famille restée au Cameroun.
« On m’a menacé de représailles si la vidéo était publiée »
confie-t-il.
Cette affaire soulève une fois de plus des questions sur les droits humains et la liberté d'expression au Cameroun, rappelant la complexité de l’engagement artistique dans un contexte politique difficile.