ÉLECTION AUX USA : EN ARIZONA, UNE CLINIQUE D'AVORTEMENT EN RÉSISTANCE
À Phoenix, l’Acacia Women’s Center est l’une des dernières cliniques d’Arizona à pratiquer l’IVG, dont l’accès fait l’objet d’un référendum d’initiative citoyenne en même temps que l’élection présidentielle.
De l’extérieur, on penserait à un bunker. Bien que le droit à l’avortement en Arizona soit régulièrement menacé, la clinique du docteur Ronald A. Yunis n’a en réalité rien de ces bâtiments fortifiés. Ici, ni agent de sécurité, ni porte blindée. On entre même sans sonner. Au guichet, Irma reçoit les patientes d’une voix douce.
« Je dois d’abord leur expliquer où en est la législation. Depuis la révocation de Roe v. Wade, beaucoup pensent que l’avortement est interdit dans cet État »
constate-t-elle.
Installé au bord d’une large avenue de la périphérie de Phoenix, l’Acacia Women’s Center accueille ainsi chaque mois près de 200 femmes désireuses d’interrompre leur grossesse. En ce matin de novembre, elles ne sont que deux à attendre leur tour, indifférentes à l’écran de télévision géant qui diffuse à plein volume un drame paranoïaque. L’une est venue réclamer la pilule abortive. Irma lui rappelle la règle :
« Un délai de réflexion de 24 heures est obligatoire entre le premier rendez-vous et l’acte, qu’il soit chirurgical ou médicamenteux. »
Une limite parmi de nombreuses autres qui font de l’Arizona l’un des États américains les plus restrictifs en matière d’accès à l’avortement, selon l’institut Guttmacher, référence en la matière.
Depuis la décision historique de la Cour suprême rendant chaque État libre d’interdire ou non l’interruption volontaire de grossesse, l’Arizona autorise le recours à l’IVG jusqu’à la quinzième semaine, sauf urgence médicale. Il ne prévoit en revanche rien en cas de viol ou d’inceste. Mais le personnel médical espère voir tout cela bientôt changer. Dans un coin de la salle d’attente, une pancarte donne le ton.
« Votez oui à la proposition 139 ».
La mesure, soumise au référendum en même temps que les élections, prévoit d’inscrire dans la Constitution locale le droit fondamental de tout individu à avorter jusqu’à la viabilité du fœtus, soit 24 semaines de grossesse. Des exceptions sont également envisagées « pour protéger la vie ou la santé mentale et physique » de la femme enceinte.
Le « Grand Canyon State » n’est pas le seul à voter sur l’accès à l’avortement : une dizaine d’autres, comme le Colorado, la Floride, le Maryland ou le Dakota du Sud, doivent aussi se prononcer par référendum sur le sujet. Mais ici, il pourrait être décisif dans le résultat de la présidentielle. Les démocrates, à l’initiative de la proposition, espèrent mobiliser l’électorat féminin pour faire basculer cet État-pivot du côté de Kamala Harris, qui a fait du droit à l’IVG l’un des thèmes majeurs de sa campagne pour la Maison Blanche. Selon les sondages, près de 60 % des électeurs arizoniens seraient favorables à la mesure.
Dans son bureau rempli de photos de famille, le docteur Ronald A. Yunis refuse d’apparaître comme un défenseur acharné de l’avortement. En trente ans de carrière, fait-il valoir, il a aidé à donner naissance à près de 10 000 enfants. La proposition 139 ne le réjouit d’ailleurs pas.
« Personne ne gagne si le camp adverse n’a rien. Il faut faire des compromis. Je pense qu’autoriser l’avortement jusqu’à 16 ou 17 semaines en aurait été un bon. Mais voilà ce que les extrémistes de droite ont obtenu en refusant toute concession »
dénonce le gynécologue-obstétricien, casquette du Brooklyn College vissée sur le crâne.
Libertarien revendiqué, il espère néanmoins une victoire massive du « oui » le 5 novembre. Le message, martèle-t-il, doit être sans appel : la santé des femmes ne doit plus être un enjeu politique et religieux.
« Il s’agit de permettre aux médecins de pouvoir opérer sans devoir appeler au préalable leur avocat, simplement parce qu’un idiot de politicien a décidé de s’emparer du sujet pour des raisons purement électoralistes. Dans de nombreux États comme au Texas, on a vu des femmes en danger de mort parce que les médecins ne savaient pas quoi faire. Ce n’est pas acceptable. »
Avant même la révocation de l’arrêt Roe v. Wade, l’Arizona était déjà connu pour sa sévérité sur la question de l’IVG, rappelle l’Union américaine pour les libertés civiles. Mais depuis le 24 juin 2022, les restrictions se sont multipliées. En avril dernier, la plus haute juridiction locale a même estimé qu’une loi de 1864 interdisant quasiment toute interruption volontaire de grossesse dès le moment de la conception était applicable. Le texte a finalement été abrogé un mois plus tard à 16 voix contre 14 par le Sénat républicain en troisième lecture.
Mais ces multiples rebondissements législatifs accompagnés de recours en justice quasi systématiques ne font qu’ajouter de la confusion à un climat déjà délétère.
« Au moment de l'affaire Roe v. Wade, nous recevions toutes les heures des dizaines et des dizaines d'appels de personnes qui essayaient de comprendre. C’était fou. Nous ne pouvions même pas prendre de rendez-vous. La peur de ces femmes était indescriptible. C'était absolument fou. Nous ne voulons plus revivre ça »
insiste le docteur Yunis. Sans parler des répercussions financières.
Conséquence, le nombre de cliniques pratiquant l’avortement en Arizona est en chute libre. En douze ans, cinq d’entre elles ont fermé. L’État n’en compte plus que sept, principalement situées à Phoenix, pour une population de 1,6 million de femmes en âge de procréer. À démographie comparable, l’État de Washington – bien plus libéral sur la question – en dénombre 38, selon les chiffres de l’institut Guttmacher. Les « centres de crise en cas de grossesse », ces établissements financés par des groupes religieux où tout est fait pour décourager les femmes enceintes à avorter, ont à l’inverse le vent en poupe. Le « Grand Canyon State » en recense 44, disséminés sur tout le territoire.
Ronald Yunis avoue lui-même ne pas être rassuré.
« Comment ne pas se sentir menacé quand on voit des militants anti-avortement assassiner des médecins et incendier des cliniques ? S’il y avait plus de soignants pratiquant les interruptions volontaires de grossesse, cette menace serait moins pesante »
plaide-t-il. Abandonner n’est cependant pas une option.
« Je pratique les avortements parce que cette procédure est difficilement accessible aux patientes et j’ai besoin qu’elle le soit »
conclut-il, combattif.